FRANCE | L’invisibilité grandissante et préoccupante des personnes exilées en Île-de-France compromet l’effectivité de leurs droits

La Défenseure des droits, Claire Hédon, et le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le Professeur Jean-François Delfraissy se sont rendus le 3 juin auprès de personnes exilées et sans abri vivant dans des squats ou campements de fortune en Île de France.

Ce déplacement fait suite aux évacuations des grands campements d’Aubervilliers et de Saint-Denis intervenues en juillet et novembre 2020. Il a permis de constater la persistance des atteintes aux droits fondamentaux subies par les personnes exilées d’Île-de-France, rendues moins visibles par la stratégie de dispersion mise en œuvre systématiquement, et de prendre la pleine mesure de la dégradation de leurs conditions de vie, notamment en période de crise sanitaire, et de leur dignité.

Pour aller au plus près de cette réalité, la Défenseure des droits et le président du CCNE ont pris part à une maraude à Bobigny et sur l’Île Saint Denis et ont participé à une distribution alimentaire à la Porte de la Villette. Un temps d’échange a également eu lieu avec les associations œuvrant auprès de ces personnes.

La Défenseure des droits et le CCNE constatent que malgré la création ou le renforcement de certains dispositifs de prise en charge des personnes exilées en Île-de-France, ceux-ci restent sous-dimensionnés. Le « sans-abrisme » des personnes exilées, bien que moins visible qu’il y a quelques mois, persiste dans des conditions de dégradation des conditions de vie et des droits particulièrement préoccupantes. Les associations évoquent la présence continue de 800 personnes exilées sans solution d’hébergement. Régulièrement dispersés par la police, adultes et enfants se trouvent contraints de vivre dans l’errance. De plus en plus loin des lieux d’accueil de jour, des dispositifs d’aide et des lieux de rendez-vous administratifs et médicaux, ils n’en sont que plus éloignés de leurs droits. Leur dispersion sur plusieurs départements complique de surcroît l’accompagnement juridique, médical et social, quand il ne le rend pas impossible. L’accès à la nourriture, à l’eau et à l’hygiène, aux soins ou l’aide à la demande d’asile s’en trouvent fortement entravés. Si des opérations de mises à l’abri ont pu intervenir ponctuellement, comme ce matin au square Villemin, c’est souvent à la suite d’actions menées par des associations pour rendre plus visibles les exilés. Il faut noter d’une part que le manque d’anticipation aboutit à des solutions d’hébergements temporaires et que d’autre part, les difficultés de coordination des opérateurs et acteurs sur le terrain empêchent l’émergence de solutions pérennes.

La Défenseure des droits et le CCNE rappellent que ni l’absence de droit au séjour, ni le fait d’occuper illégalement un site ne sauraient priver de la jouissance des droits les plus fondamentaux tels que le droit d’être hébergé, d’être soigné, d’être scolarisé, de demander l’asile et de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants. Ce rappel est d’autant plus aigu que l’épidémie de la Covid-19 frappe de manière très dure, on le sait, les populations socialement les plus fragiles.

Ces constats ne sont pas nouveaux. Ils font écho aux positions prises par le CCNE dans son Avis 127 du 16 octobre 2017 et par le Défenseur des droits, notamment à la suite de ses différents déplacements en Île-de-France et dans le Pas-de-Calais.

Tout en ayant de cesse de dénoncer les conditions de vie indignes des personnes exilées astreintes à vivre dans des campements du fait du sous-dimensionnement des dispositifs d’hébergement, le Défenseur des droits a régulièrement déploré les atteintes aux droits résultant des opérations de démantèlement effectuées sans propositions de solutions pérennes et respectueuses des droits fondamentaux.

Depuis des années, l’institution alerte les pouvoirs publics sur les conditions de survie, indignes et inhumaines, des exilés que les expulsions régulières rendent simplement moins visibles. Dans son rapport d’octobre 2015, réitéré dans son rapport de 2018, le Défenseur des droits écrivait : « Depuis les années 2000, c’est la crainte du risque "d’appel d’air" que pourrait provoquer un traitement digne et respectueux des droits des migrants qui est à l’œuvre dans la gestion de la situation du Calaisis. Pour ne pas prendre ce risque, les pouvoirs publics ont d’abord cherché à rendre le moins visible possible le regroupement de migrants et à ne pas créer de "points de fixation" ».

Dans l’Avis 127, le CCNE remarquait en écho « On ne peut, en tout état de cause, admettre que l’absence de prise en charge de l’hygiène élémentaire de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants (souvent isolés) soit un instrument de régulation de leurs flux ». Le CCNE soulignait par ailleurs la nécessité de « donner une priorité au respect de la dignité des personnes, ce qui se mesure à la manière concrète dont la vie matérielle de chacun est assurée ». Il insistait également sur le fait que cette priorité rappelait « l’exigence éthique de la solidarité qui s’exprime dans la fraternité, notamment avec les personnes accueillies sur le sol français, et dans le devoir d’hospitalité à leur égard ».

Alors que les médias ont relayé les conditions violentes dans lesquelles certaines des opérations déployées ces derniers mois pour éviter la reconstitution de campements en Île-de-France ont pu se dérouler, les témoignages recueillis hier confirment que la stratégie d’invisibilisation des migrants est aujourd’hui pleinement à l’œuvre dans cette région. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, elle contraint les exilés franciliens à la survie dans des conditions indignes. Il est temps et urgent de développer des solutions de prise en charge concertées, pérennes et respectueuses des droits fondamentaux C’est de surcroît un impératif de santé publique alors que l’épidémie de la Covid-19 n’est pas éradiquée.

La Défenseure des droits et le Président du CCNE s’alarment de l’avenir des personnes rencontrées aujourd’hui sur les lieux de visite. Ils rappellent qu’aucun démantèlement ne peut avoir lieu sans le strict respect des procédures, de la dignité des personnes et sans que des solutions d’hébergement pérenne pour les exilés soient trouvées.


Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante créée par la loi organique
du 29 mars 2011, suite à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Protecteur des droits et libertés des personnes, il a pour mission de défendre et promouvoir les droits des usagers des services publics, les droits de l’enfant, de lutter contre les discriminations, d’assurer le respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité et de protéger et orienter les lanceurs d’alerte.

Il peut être saisi gratuitement par toute personne résidant en France ou française résidant à l’étranger qui estime que ses droits n’ont pas été respectés. Il peut également se saisir d’office.

Plus de 500 délégués répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain et en outre-mer reçoivent, orientent et aident toute personne à faire valoir ses droits, gratuitement et en toute indépendance.

Victimes ou témoins de discriminations : les juristes du Défenseur des droits écoutent, accompagnent et orientent gratuitement les personnes au 39 28 ou sur www.antidiscriminations.fr

Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE)

Créé en 1983 comme instance consultative, indépendante et multidisciplinaire, le CCNE émet des avis sur des questions dont il est saisi ou qu’il décide de traiter. Il organise des débats publics en lien avec les espaces de réflexion éthique régionaux et a ainsi piloté en 2018 les États généraux de la bioéthique. Le CCNE avait publié en 2017 un avis sur « santé des migrants et exigence éthique ». Depuis le début de la pandémie, il a produit plusieurs textes portant sur les enjeux éthiques de la crise sanitaire dont une partie d’entre eux portait sur les personnes vulnérables. En 2021, il a amorcé une réflexion sur les liens entre éthique et santé publique, destinée à s’ouvrir sur le débat sociétal.

Source: Bureau de la Défenseure des droits, France

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